Croissance ou maturité ?

Nous vivons une crise majeure qui met en lumière de nombreuses failles de notre système et dévoile les jeux des différents acteurs économiques. Pour autant, chaque crise a un début et une fin, aussi la gestion de la sortie de crise se pose et la reprise se prépare déjà en coulisse.

Quel monde allons-nous créer pour relancer nos économies ? Est-ce que l’objectif de croissance restera dominant ou deviendra-t-il secondaire ?

Avons-nous les leviers suffisants pour développer un système responsable et durable ?

 

Viser la croissance ou viser la maturité?

Commençons par définir ces deux notions :

La croissance est le phénomène selon lequel une entité voit une de ses propriétés physiques grandir. Ce peut être un individu / taille, une entreprise / volume des ventes ou encore un pays / PIB.

La maturité est le phénomène par lequel cette même entité intègre un nouveau stade de développement, marqué par une nouvelle motivation et une nouvelle relation à son environnement.

La croissance est une des étapes de développement de l’organisation, phase durant laquelle elle voit sa production et son volume des ventes croître, permettant dès lors une accumulation de capital et un renforcement de sa structure financière. La croissance n’est dès lors qu’une étape sur le chemin de la maturité.

S’agissant d’une étape dans le processus de maturité, où peut-on situer la croissance parmi les stades de développement qu’une organisation traverse pour gagner en maturité?

 

Les stades de développement des organisations.

A l’instar des êtres humains qui les composent, les organisations passent par différents stades de développement qui comprennent à chaque étape des besoins précis et des écueils qu’il conviendra d’intégrer pour passer à l’étape suivante. Je propose dès lors de visiter les différentes stades de développement des organisations.

 

Stade 1.  Phase primaire de structuration.

La première étape consiste en la mise en place du système dans ses fondements et dans son fonctionnement. L’organisation définit son but, ébauche sa gouvernance et établit son mode de production.

A ce stade :

  • L’objectif est la survie en testant la viabilité de l’organisation et l’adhésion à son objet social.
  • L’écueil est la relation de dépendance à l’environnement. Durant cette phase de structuration, l’organisation teste ses capacités de production et aura tendance à accepter les demandes de l’environnement, même éloignées de ses objectifs, quitte à adapter son processus de production.
  • Le gain de maturité provient de la prise en compte des capacités réelles de l’organisation qui va dès lors proposer une offre conforme à ses buts initiaux et par la même se libérer progressivement de la dépendance et des demandes qui sont éloignées de son objet social.

Stade 2. Phase secondaire de structuration.

Comme l’organisation a conscience de son potentiel et de son offre, elle va pouvoir la proposer et va chercher des partenaires (fournisseurs, clients, collaborateurs) pour augmenter sereinement ses capacités de production et ses débouchés commerciaux.

A ce stade :

  • L’objectif est de s’inscrire dans l’espace économique et social en trouvant des partenaires fiables.
  • L’écueil est un excès de méfiance envers les partenaires, leur fermant les frontières externes et leur refusant ainsi l’accès et les échanges. L’effet est une limitation des capacités de l’organisation, tenue à réaliser par elle-même l’intégralité du processus de production. Par manque d’informations externes, elle risque potentiellement de produire en sur-qualité ou en déconnexion avec les attentes du marché.
  • Le gain de maturité est l’ouverture à l’extérieur, qui offre aux dirigeants des informations sur les attentes réelles de l’environnement, et potentiellement des opportunités pour se développer, pour explorer le marché.

Stade 3. Phase primaire de déploiement.

L’organisation a pris connaissance des attentes du marché et a pu tester ses capacités de production pour y répondre. Elle va donc accroître sa visibilité et ses actions commerciales dans le but de déployer sa production dans son environnement.

A ce stade :

  • L’objectif est la croissance de sa production et de ses débouchés en inondant le marché. Vendre en masse est le mot d’ordre.
  • L’écueil est de focaliser sur la croissance et sur l’aspect commercial en négligeant alors les besoins de l’appareil productif et de ses supports. L’organisation reste focalisée sur la croissance de sa production qu’elle cherche à écouler en grand nombre et néglige les relations, tant internes qu’externes.
  • Le gain de maturité est la prise en compte des limitations de son propre système et l’adéquation entre les capacités de production, les forces commerciales et les demandes de l’environnement.

Stade 4. Phase secondaire de déploiement.

L’organisation a pris la mesure des limites de son système et des contraintes extérieures (règlementations, concurrence…). Elle cherche encore à ce stade un accroissement rapide et va chercher des moyens pour maintenir son rythme de croissance (différenciation, acquisition externe, développement de produits annexes).

A ce stade :

  • L’objectif est de se différencier et de viser une place monopolistique pour accroître encore ses revenus. L’organisation va chercher à s’inscrire dans le temps, à perdurer en renforçant sa structure financière. Vendre avec une marge confortable est alors le mot d’ordre.
  • L’écueil est une stéréotypie de la production qui appauvrit l’offre à destination de l’environnement. Ce qui attire d’autres acteurs pour répondre à cette demande non servie dans l’environnement. Le ralentissement du rythme de croissance est inéluctable.
  • Le gain de maturité est le deuil de la croissance soutenue. L’organisation comprend que sa croissance ralentit, que le marché ne peut absorber plus que sa production.

Stade 5. Phase primaire de stabilité.

L’organisation a compris que sa croissance n’est pas sans limite. Pour poursuivre son développement et sa capitalisation financière, elle va devoir maîtriser les flux au sein de l’organisation.

A ce stade :

  • L’objectif est de rationaliser sa production afin de maximiser le rapport gain / effort.
  • L’écueil est de rationaliser à outrance et de réglementer au risque de rigidifier le système. Une trop forte rationalisation occulte les besoins internes des équipes et leur créativité, ainsi que les besoins externes de l’environnement et des opportunités éventuelles. L’organisation devra veiller à ce que le but de la rationalisation est d’améliorer le processus de production et non d’améliorer les marges.
  • Le gain de maturité est d’intégrer des indicateurs psycho-sociaux dans la réflexion économique, en limitant les prises de décisions qui seraient purement probabilistes.

Stade 6. Phase secondaire de stabilité.

L’organisation a intégré que la rationalisation à l’extrême conduit à une déconnexion avec le monde extérieur et avec les ressources disponibles. Elle doit donc trouver le juste équilibre entre les demandes de l’environnement, ses capacités de production et les ressources disponibles.

A ce stade :

  • L’objectif à ce stade est de recentrer l’activité sur son apport dans son environnement, en ayant un impact responsable et durable. L’organisation cherche alors à s’inscrire dans sa culture.
  • L’écueil est de passer d’une rationalisation extrême à un engagement sociétal factice en appliquant des politiques sociales et éthiques pour valoriser l’image à des fins de vendre à des marges élevées, et non pour servir effectivement l’environnement.
  • Le gain en maturité est l’engagement dans une politique de responsabilité sociétale de l’organisation.

Remarque : le stade de développement ne présage en rien de la puissance de l’organisation. Plus l’organisation est mature, plus son rapport à son environnement économique et social est pérenne et équilibré. Dans les premiers stades de maturité, l’environnement est angoissant pour l’organisation (stade 1 et 2), puis il devient une ressource à exploiter (stade 3 et 4) pour enfin se muer en un partenaire (stade 5 et 6). Une organisation mature a un impact bénéfique sur son environnement, tandis qu’une organisation immature, qui plus est puissante peut avoir un effet délétère sur son environnement. A l’instar d’un enfant à qui l’on aurait remis un fusil.

Remarque 2 : Il se peut que dans un même système coexistent des sous-systèmes dont les niveaux de maturité sont différents. Par exemple, des départements d’une entreprise, des administrations d’un Etat peuvent vivre des stades différents. Le niveau de maturité du système sera toutefois celui du sous-système ayant le plus d’influence.

 

Les cycles de développement des organisations.

Seulement, la vie d’un système connait plusieurs cycles et plusieurs redémarrages qui vont lui offrir l’opportunité de revisiter les différents stades.

1er cas de figure : événement extérieur venant bousculer la dynamique de l’organisation.

Par exemple, la crise que nous connaissons va supposer un redémarrage de l’activité et bon nombre d’organisations qui auront choisi (et auront la possibilité financière) de poursuivre leur activité vont successivement et parfois rapidement passer en revue les différents stades, jusqu’à leur maturité d’avant crise. Ainsi, elles auront à évaluer le marché et leurs capacités de production (stade 1), pour ensuite faire une revue les ressources et partenaires encore présents pour l’épauler (stade 2) …. Et ce jusqu’à se retrouver au stade d’avant crise et il appartiendra à l’organisation d’y rester ou d’évoluer.

2e cas de figure : l’innovation.

Lorsqu’une organisation explore les 6 différents stades, elle ne s’arrête pas d’évoluer pour autant. La maturité du dernier stade induit une relation forte avec l’environnement. Cette relation forte permet à l’organisation de toujours mieux calibrer son offre aux demandes de l’environnement tout en veillant aux ressources disponibles. Cette attitude relationnelle et responsable lui donne les clés de l’innovation : comment répondre au mieux à la demande sous contrainte des ressources disponibles. Suite à une innovation, les organisations repensent leur système interne et externe et revisitent les différents stades.

Les indicateurs de développement des organisations.

Le développement des organisations repose sur l’exploration des différents stades. Chaque stade est d’une importance cruciale : chacun d’eux est constituant pour l’organisation et s’avère fondamental pour la viabilité du système.

Les deux premiers stades permettent l’instauration d’une structuration et d’une base suffisamment stable sur laquelle il sera possible de déployer sa production et ainsi faire bénéficier à l’environnement d’un produit ou d’un service à forte utilité sociale. L’organisation s’inscrit dans son espace.

Les stades 3 et 4 sont également importants pour constituer des réserves vitales pour améliorer le processus de production et proposer à grande échelle la production. L’organisation s’inscrit alors dans le temps.

Une fois bien déployés, les stades 5 et 6 auront pour impact de calibrer au mieux la production aux attentes réelles du marché et potentiellement d’ouvrir la voie vers l’innovation afin de préserver les ressources tout en servant au mieux l’environnement économique.  L’organisation s’inscrit dans la culture.

Chaque stade est donc une étape fondatrice dans la construction d’une organisation. Pour s’assurer du développement durable d’une entreprise, il est important de surveiller trois types d’indicateurs. Ceux-ci seront différemment perçus d’un stade à l’autre.

Ces indicateurs psycho-socio-économiques sont de trois niveaux :

  • Psychologique : mesure de la motivation interne et de l’adhésion au projet d’entreprise (sens d’appartenance, sentiment de sécurité, confiance…)
  • Social : évaluations des relations internes et externes à l’organisation (cartographie des partenaires, sens des échanges, état des ressources…)
  • Economique : suivi des agrégats financiers et économiques (résultats, productivité…)

Selon les stades de développement, l’organisation privilégiera différents indicateurs mais aura tout intérêt à gérer ces trois types d’indicateurs pour viser la maturité.

Conclusion

L’impact sociétal d’une organisation dépend avant tout de son niveau de maturité, qui, selon son degré d’influence va peser sur les relations du système global.

La crise que nous vivons met à jour trois blocs économiques distincts évoluant à des stades de maturité différents : la Chine qui déploie une politique de forte pénétration des marchés (stade 3), les Etats-Unis qui luttent pour leur hégémonie (stade 4) et l’Europe, soucieuse de la stabilité (stade 5).

Faute d’une prise de conscience suffisante des blocs en place relatif à leur impact sociétal, et faute d’une volonté commune de gagner en maturité pour le bien de la communauté, il est fort à parier que l’issue de la crise ressemblera aux négociations sur le climat, à savoir un infléchissement en faveur du bloc sino-américain, fortement mercantile… nous promettant une nouvelle crise.

La responsabilité sociétale est certes en bonne voie, tout du moins en Europe, mais devra encore patienter avant de devenir le modèle de référence mondial. Il appartient à chaque acteur économique de faire maturer le système vers une consommation responsable, durable.

Vous souhaitez en savoir plus sur la maturité des organisations? Vous souhaitez évaluer votre propre structure? Nous nous ferons un plaisir d’échanger avec vous : contact@bright-up.fr

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